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Au pays des Schtroumpfs Littéraires.
19 décembre 2008

travail de noël

poru ceuw qui ne l'auraient pas recu voici le cadeau de monsieur warnery pour noël que nous avons recu pas e mail:

Message concernant les élèves de TL - philosophie.

1)Veuillez lire le corrigé ci-joint du bac blanc. Etudiez-le soigneusement et préparez, le cas échéant, des questions. Les copies vous seront remises à la rentrée de janvier.

2)Pensez à faire le travail demandé concernant Hobbes, Le Léviathan. A rendre le lundi 5 janvier impérativement.

3)Le DS initialement prévu le 6/1 est reporté au 13/01. Nous aurons donc le temps de préparer correctement l'explication de texte.

Séance de rattrapage le mardi  6/01 de 13h40 à 15h30.

4)Si vous avez du temps, commencez/ poursuivez vos révisons sur ce qui a été vu depuis le début de l'année.

Vous pouvez également vous avancer en consultant les chapitres du manuel relatifs aux notions non encore étudiées: l'art, la religion, l'histoire...

Bonnes vacances et bon travail.

En cas  de besoin, vous pouvez me contacter. david.warnery@ac-nantes.fr   

Pouvez-vous transmettre ce message aux élèves suivants qui n’ont pas communiqué leur adresse e.mail à l’établissement :

AGULLO SOPHIE – AIKEBADE LUCILLE – ALCARAZ LOUISE – BOURON ETIENNE – CAILLON JULIETTE – COSTET LAHMAR LOREN – COZETTE SIDONIE – DENIARD ESTELLE – FRETIN MAELA – LE CLERE JEANNE  ET MOREAUX LAURA

CORRIGE BAC BLANC

EN QUEL SENS L’HOMME EST-IL UN « ANIMAL DENATURE » ?

1)analyse du sujet :

-formulation en 2 temps :

(1)qu’est-ce que l’homme ?

(2)suggestion de réponse : un « animal dénaturé », expression dont il s’agit d’élucider le sens.

-Le sujet n’est pas : l’homme es-il un animal dénaturé ?

Il est admis qu’il l’est. On ne demande donc pas s’il l’est ou non, on demande de trouver en quel sens il l’est, quel est le sens de l’expression « animal dénaturé » qui convient le mieux.

-il ne faut pas dissocier les termes du sujet : 1ère partie :l’homme est un animal (propos forcément oiseux pour dire des évidences) ; 2ème partie : il est dénaturé ;

-il ne faut pas dire en quoi l’animal se rapproche de l’homme, tout ce qu’il peut faire ; il faut au contraire penser ici tout ce qui éloigne l’homme des autres animaux, tout ce qui est spécifique à l’homme (ce que ne peut l’animal)

-Répétons-le, on ne demande pas si l’homme est un animal, puisque le sujet l’affirme ! Il est un « animal dénaturé ». NB : que l’homme soit un animal, pour un élève cultivé, doit constituer une sorte d’évidence…presque impossible à contester. Il est un animal, biologiquement, la science l’a établi. Et la philosophie part des résultats de la science… Mais peut-être n’est-il  pas qu’un animal, un animal tout à fait comme les autres. Il est un « animal dénaturé » : on nous demande ici de penser cette proposition, de la prendre au sérieux et de lui donner son sens, son sens le plus adéquat, le meilleur. Partant du fait qu’il y a continuité biologique, existe-t-il une simple différence de degrés entre l’homme et l’animal ou bien faut-il parler d’une différence de nature ? (comme il existe une discontinuité entre le minéral et le vivant - pourtant composé des mêmes atomes que la matière inanimée). Peut-on réduire l’homme à son animalité ? En quoi penser la rupture entre le genre humain et le genre animal en terme de dénaturation est-il fructueux pour l’esprit ?

-Comme toujours, il y a donc lieu d’organiser un débat à ce propos.

« en quel sens » est au singulier et signifie « quel est le sens le meilleur ». Il n’ y a pas de pluriel mais il est évident qu’il est sous entendu… il faut organiser un débat entre thèses, on doit au moins pouvoir repérer 2 façons d’interpréter cette dénaturation et les discuter.

-c’est un problème anthropologique :les sujets d’anthropologie ne sont pas des sujets d’actualité ; il faut penser l’universel cad ce qui est vrai pour tous, partout, toujours : il est donc hors de propos de parler de la dégradation du milieu naturel, qui ne concerne que notre civilisation occidentale depuis 3 siècles.

-dénaturer : altérer, changer les caractéristiques, changer (par exemple, le goût), déformer (par exemple, des propos)

-dénaturé :

*les sens possibles :

-qui a perdu sa nature : c’est un être de culture et pas seulement de nature : en lui tout n’est pas inné, mais il est aussi le produit d’une culture, c’est-à-dire d’une éducation. Donc dénaturation au sens de dépassement de la simple nature. (vu en cours avec les L et les S) 

-inadapté pour la survie : mythe du Protagoras. (vu en cours avec les L et les S) 

-qui ne respecte pas les lois de la nature, l’ordre naturel ; qui ne vit pas selon la nature : la culture dénature l’homme. L’homme aurait été corrompu (dépravé) par la culture. Donc dénaturation au sens de perversion, corruption. (vu en cours avec les L)

*les sens faux :

-pas adapté au milieu naturel, au sens de pollueur : non car on ne peut pas généraliser, il ne faut pas projeter les turpitudes de la civilisation occidentale depuis 3 siècles sur toutes les autres cultures. En outre, certaines espèces animales dégradent et même ruinent certains milieux écologiques (lapin en Australie, les chèvres qui sont cause d’une partie de la déforestation sur le pourtour méditerranéen etc.).

-ne dites pas que l’homme est supérieur, qu’il domine : les hommes sont moins nombreux que les fourmis, existent depuis moins longtemps, disparaîtront peut-être avant elles. L’homme est plus fragile face au rayonnement nucléaire que les scorpions…

-on dit « dénaturé » et non pas « dénaturisé » (en plus c’est écrit en toutes lettres dans le sujet) ; on dit  « acquis » et non pas « acquéri » ;on dit « spéciaux » et non pas « spécials ».

-plan :

un sens négatif

un sens positif.

Dans la 2ème partie critique, il ne faut pas rejeter l’idée d’animal dénaturé mais il faut critiquer la façon dont cette expression a été interprétée dans la 1ère hypothèse. Bref, on suit la méthode habituelle…

Introduction :

(contexte) La théorie de l’évolution a clairement établi que, au plan biologique,  l’homme est un animal, issu, comme toutes les autres espèces animales, d’une longue évolution par sélection des individus les mieux adaptés à leur milieu du fait d’un avantage obtenu à la suite de mutations génétiques hasardeuses. Différents courants anti-humanistes contemporains arguent de cette caractéristique animale pour récuser toute dignité humaine. Par exemple, Peter Singer dans La Libération animale prétend qu’accorder, a priori, une plus grande valeur à l’homme relève de ce qu’il appelle le « spécisme » (une sorte de racisme d’espèce). Pourtant, l’homme est-il un animal tout à fait comme les autres ? Jean Brueller dit Vercors (1902-1991) a désigné les hommes dans le titre de son livre Les Animaux dénaturés(1952).

(sujet)En quel sens l’homme est-il un « animal dénaturé » ?

(problème)L’oxymore « animal dénaturé » pose le problème du rapport que l’homme entretient avec la nature en lui – au sens du donné inné, héréditaire – et avec sa propre nature – son essence.

(problématique)Qu’est-ce qu’être dénaturé ? Peut-on dire que la culture dénature l’homme ? L’homme n’a-t-il pas oublié ou tourné le dos à sa véritable nature ? Mais alors ne faut-il pas reconnaître que c’est par nature que l’homme est dénaturé ?

(1ère hypothèse : 1ère interprétation de l’expression « animal dénaturé » )On peut d’abord soutenir que

I)L’homme est un animal dénaturé au sens où il s’est détourné de la loi naturelle.

Dans une telle perspective, la culture est envisagée négativement comme ce qui corrompt l’homme.

Le point de départ de cette hypothèse est le constat largement partagé, établi par la paléontologie (la science qui étudie les êtres anciens, c’est-à-dire les fossiles) selon lequel l’homme moderne (homo sapiens, depuis 150 000 ans) est le résultat d’un processus s’étalant sur plusieurs millions d’années au cours duquel nos ancêtres se sont progressivement éloignés de leur nature animale pour entrer (en l’inventant) dans le monde de la culture.  Au terme de ce processus évolutif, l’homme est devenu

       A)un animal sans instinct.

     1)C’est à l’évidence un animal. (Le sujet l’affirme, il était donc inutile d’y revenir longuement, nous ne le faisons ici que pour préciser les idées). Il n’y a qu’un lecture littérale et fixiste de la Genèse qui puisse le nier : l’homme serait sorti des mains du créateur tout achevé, créé à part, après les animaux… Cette lecture est aujourd’hui irrecevable tant elle est contredite pas des faits biens établis par diverses sciences. Elle est pourtant encore celle que font les créationnistes les plus bornés et obtus du christianisme et de l’islam…

Selon la théorie de l’évolution, homo sapiens possède un ancêtre commun (il y a environ 8 à 10 millions d’années) avec le singe (il a 98% de ses gènes en commun avec le chimpanzé). Au plan biologique (morphologique et génétique) donc, c’est un animal. Lorsque dans le langage courant on dit que l’homme n’est pas un animal, on veut seulement dire en réalité qu’il n’est pas un animal comme les autres, qu’il n’est pas qu’un animal, qu’il ne se réduit pas à son animalité mais qu’il est quelque chose de plus, un être possédant une dignité. C’est pourquoi, au plan juridique, (et il n’y a pas ici contradiction puisque l’on traite du même objet mais pas sous le même rapport), l’homme, dans la plupart des systèmes juridiques, n’est pas considéré comme un animal (sans droits) mais comme une personne (possédant des droits).

        Comme tout animal, il est un être naturel, la nature étant ici définie comme tout ce qui existe indépendamment des productions humaines. (NB : Le mot animal ne doit pas être ici pris au sens péjoratif de « bête méchante et cruelle » précisément parce qu’aucun animal n’est méchant (ne fait le mal délibérément), seul l’homme peut l’être - et donc être immoral. En ce sens seul l’homme est un animal !).

      2)Néanmoins, et sans doute est-ce une spécificité qui lui est propre, il est un animal dépourvu d’instinct. L’homme est un animal mais il est le seul dont les gènes jouent un rôle marginal.  Certes, comme pour tout animal, son anatomie est largement déterminée par ses gènes. Pourtant, au plan psychologique, la différence avec l’animal se creuse : la notion d’instinct, si prégnante chez l’animal, ne semble plus pertinente chez l’homme. Si l’on définit l’instinct au sens strict comme une réponse complexe, innée, héréditaire, à des stimuli, il faut reconnaître que l’on n’en trouve au mieux que des traces chez homo sapiens. Ainsi, les femmes ont-elles un instinct maternel ? Elisabeth Badinter, L’Amour en plus, a magistralement montré que le sentiment maternel était le résultat d’une éducation, et non de nos gènes. Il est acquis et non inné, culturel et non naturel.

De même, les notions d’instinct de survie ou d’instinct sexuel renvoient à une confusion souvent faite (on la trouve malheureusement chez Nietzsche ou Freud) entre instinct et pulsion.  (Il n’existe pas d’instinct sexuel au sens strict, les gestes de la procréation sont appris, voir dans Maupassant, Une Vie, l’ignorance où étaient maintenues certaines jeunes filles dans certains milieux au 19 s. ; d’ailleurs les chimpanzés en captivité et isolés de leur congénères ne savent pas comment faire…) Les rares cas étudiés d’ « enfants sauvages », montrent que lorsqu’il n’est pas éduqué, le petit d’homme soumis à sa seule nature, ne sait rien faire, pas même accéder au langage ou se tenir debout… Comme l’a montré Marx, Le Capital, alors que les autres animaux s’activent – comme l’abeille – instinctivement, le travail chez l’homme (même chez le plus mauvais architecte) est une activité intelligente.

         La paléontologie montre que certaines évolutions morphologiques (pouce opposable, bipédie, station verticale) ont permis, au sein du genre homo, le développement du cerveau et corrélativement celui de la conscience et de l’intelligence, ce qui a conduit à la rupture avec l’instinct. On trouve une telle intuition dans la version rédigée par Platon, Protagoras, du mythe de Prométhée.  L’homme, oublié par Epiméthée, est laissé « nu », ce qui est vrai littéralement tant son corps sort démuni et désarmé des mains de la nature (au terme du processus évolutif), et ce qui peut également s’interpréter comme le constat qu’il est un « animal dénaturé » car inadapté, fragile car sans instinct. D’où la nécessité pour lui de transformer la nature par son activité non instinctive : activité qui s’apprend et s’enseigne. Cela introduit la nécessité de l’éducation, donne naissance à la culture, à l’histoire, au langage (nécessaire pour coordonner des activités comme la chasse, le maniement d’outils). En l’homme l’intelligence technique (le feu de Prométhée, qu’aucune autre espèce ne maîtrise) se substitue à l’instinct.

         L’homme est donc un animal dénaturé au sens où il est sorti de la sphère naturelle tout entière constituée d’actions instinctives. Il n’est pas seulement déterminé par ses gènes (par la nature) mais éduqué par ses parents et la société, formé par la culture. Il est un être de culture et pas seulement de nature et il est le seul à se trouver dans ce cas  puisque les autres  animaux n’ont pas d’histoire, pas de culture (des proto cultures tout au plus). Contrairement aux autres animaux,  l’homme ne naît pas achevé, c’est un être en devenir qui a besoin d’une éducation, d’être cultivé. Il est certes difficile de mesurer la part respective de l’inné et de l’acquis. Néanmoins, on peut affirmer que la place de la culture est primordiale car, en l’absence de celle-ci, l’homme est un « enfant sauvage ».

       Cette culture, qui résulte d’un arrachement à la sphère naturelle instinctive, est parfois perçue comme un élément supplémentaire de rupture avec la nature, au sens ou non contente de simplement éloigner l’homme de la nature en le mettant à l’écart, elle se retourne contre la nature et s’oppose à elle. 

       B)La culture envisagée comme une anti-nature ou une contre-nature.

        La culture est parfois perçue comme ce qui conduit l’homme à ne plus « vivre selon la nature », et ainsi à se perdre dans une dénaturation mortifère. L’homme serait un animal dénaturé en ce sens qu’il s’éloignerait du modèle que lui offre la nature, des limites ou normes naturelles. Voyons quelques pensées célèbres qui déplorent cette corruption des bonnes mœurs naturelles par la faute de la culture.

        1)Platon dans le Gorgias,483 a -484 b, a mis en scène le personnage de Calliclès qui regrette: « « le plus souvent la nature et la loi [la culture] s’opposent l’une à l’autre ». Ainsi, « les lois sont faites pour les faibles et par le grand nombre ». Or, « la nature elle-même proclame qu’il est juste que le meilleur ait plus que le pire et le plus puissant que le plus faible. Elle nous montre par mille exemples qu’il en est ainsi et que non seulement dans le monde animal, mais encore dans le genre humain, dans les cités et les races entières, on a jugé que la justice voulait que le plus fort commandât au moins fort et fût mieux partagé que lui ». Ainsi, les hommes devraient-il suivre le modèle naturel du « droit du plus fort » au lieu de lui tourner le dos comme le font de nombreuses cités.

      Le darwinisme social d’Herbert Spencer, à la fin du 19 s, dénonçait dans la même veine la dégénérescence des peuples qui ne laissent plus opérer cette loi de l’évolution naturelle qu’est la « sélection des plus aptes ». Il y a donc des nations ou des races plus fortes parce qu’elles savent éliminer les tarés, les faibles au profit des plus aptes. (on devine le rapport qu’entretient cette idéologie avec le colonialisme, l’eugénisme, le fascisme et le nazisme).

      2)Tout autre est, à l’évidence, la critique rousseauiste de la culture exprimée notamment par cette phrase célèbre extraite du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes : « La nature a fait l'homme heureux et bon, mais la société le déprave et le rend misérable ». Dans le Discours sur les sciences et les arts, 1750, Rousseau avait montré que la culture (sciences et arts) a un effet délétère, nocif, immoral : « nos âmes se sont corrompues à mesure que nos sciences et nos arts se sont avancés à la perfection ». « Le progrès des sciences et des arts n’a rien ajouté à notre félicité ». Le développement des connaissances et des techniques, conduit des sociétés entières à la richesse ; celle-ci favorise l’oisiveté qui conduit aux vices et à la décadence des mœurs. On comprend donc qu’il faudrait limiter la diffusion de la culture (au sens des connaissances) à quelques-uns. L’ignorance  - naturelle - nous rendrait plus heureux.

Une telle conception négative de la dénaturation de l’homme résiste-t-elle à l’examen ?

(critique de la 1ère interprétation)

II) Il nous semble que non car la notion de loi ou d’ordre naturel n’a pas véritablement de sens en ce qui concerne l’homme.

     On pourrait montrer en effet qu’il est absurde de parler d’un « modèle naturel » à suivre. Paradoxalement, une des critiques les plus convaincantes à l’encontre de l’idée d’une norme naturelle à suivre est proposée par Rousseau, Du Contrat social, ch.3, dans un texte intitulé « du droit du plus fort ». L’auteur montre que

      A)La norme naturelle n’a pas de validité culturelle.

       1)Comme le dit Rousseau, si l’on suppose l’existence d’un tel droit du plus fort, il résulte d'une telle hypothèse, un « galimatias inexplicable » c'est-à-dire un ensemble d'absurdités qui disqualifient la supposition de départ.

Rousseau montre en effet que la désobéissance à ce prétendu droit serait légitime. (comme dit Jean de La Fontaine dans Le Loup et l'agneau, « la raison du plus fort est toujours la meilleure »).Donc une force qui en surmonte une autre agit à la fois légitimement et en même temps transgresse son devoir d'obéissance : c'est absurde. En outre, la force étant éphémère, le droit l'est aussi et le détenteur de la force changeant fréquemment, la source de la légitimité est instable. Le droit ne permet plus à celui qui a perdu la force de continuer à être le maître : il n'y a donc pas de droit du plus fort. Celui qui perd la suprématie (le pouvoir), perd le droit de conserver son pouvoir. Or ce pouvoir, il l'a en fait déjà perdu. Pourquoi donc ajouter l'idée du droit à la force ? Ainsi, il n'y a pas de droit du plus fort à être obéi par ceux qui sont moins forts. En toute logique, il ne devrait donc pas y avoir pour les sujets de devoir d'obéissance au plus fort.

       Autrement dit, dans la perspective qui est la nôtre ici, nous pouvons tirer de cette réflexion qu’obéir au plus fort (comme le feraient des animaux), c’est purement et simplement renoncer à l’idée que les hommes puissent passer des conventions, entre eux, se donner des lois, des règles, bref, c’est nier que les hommes soient capables, grâce au langage, de se mettre d’accord sur quelque chose. C’est aussi stupide que d’affirmer que les hommes n’ont pas de langage.

      2)On trouve dans ce texte un second argument : « la force est une puissance physique ; je ne vois point quelle moralité peut résulter de ses effets ». Il nous semble que l’auteur veut dire ici qu’on ne voit pas au nom de quoi la culture devrait s’ « aligner » purement et simplement sur la nature. En effet, pourquoi faudrait-il ainsi valoriser la nature et la suivre servilement ? N’est-ce pas en effet diviniser, sans justification, la nature ? En effet, dans une perspective athée, la nature n’est ni bonne ni mauvaise, elle est tout simplement ce qu’elle est, par l’effet du hasard.

        On pourrait il est vrai, dans une perspective religieuse – chrétienne par exemple - arguer que la nature étant la création de Dieu, il existe une norme naturelle, et que celle-ci est bonne car voulue par le Créateur. Ainsi, Paul VI, dans son  encyclique Humanae vitae, 1968, sur les questions de sexualité et de régulation des naissances, entend élaborer une « doctrine fondée sur la loi naturelle, éclairée et enrichie par la Révélation divine ». Il s’agit de rappeler « la loi naturelle, expression elle aussi de la volonté de Dieu, et dont l'observation fidèle est également nécessaire au salut ».

Mais une telle norme existe-t-elle ? Que nous dit la nature ? Son « message » est-il clair ? Il nous semble que non, car la

      3)la nature ne prescrit rien et ne parle pas clairement.

Nietzsche, Par–delà bien et mal, 1ère partie, §9,  montre que si l’on entend nature comme synonyme de vie, alors il est impossible de ne pas vivre selon la nature. Nous pouvons alors dire que toute forme de vie est nécessairement naturelle et toutes les formes de vie se rencontrent dans la nature. La nature prescrit tout et son contraire. D’ailleurs, quasiment toutes les écoles de l’antiquité ont prétendu vivre selon la nature en tirant d’elle des modèles très différents les uns des autres. Pour les stoïciens, c’est « accepter la nécessité » (les êtres vivants meurent, inutile donc de s’en affliger, mieux vaut l’« accepter ») ; Pour Diogène le Cynique, c’est vivre comme un animal en ne satisfaisant que ses seuls besoins, sans considérations pour les normes sociales, les mœurs etc.

        Des deux arguments qui viennent d’être avancés, on voit la difficulté à laquelle se heurte l’église catholique aujourd’hui quand il s’agit de prescrire certaines normes : ainsi la condamnation de l’homosexualité, de la sexualité, même dans le cadre du mariage, à des fins non reproductrices (la contraception), de la procréation médicalement assistée (PMA). Il nous semble que la théologie catholique serait plus rigoureuse et conséquente en cessant d’invoquer une prétendue « loi naturelle » et en établissant sa doctrine sur la seule volonté divine. (car si la nature exprime la volonté divine, alors il faut reconnaître que Dieu prescrit tout ce qui se rencontre dans la nature, c’est-à-dire tout et son contraire – y compris donc l’homosexualité, le meurtre, le règne de la force).

      B)Il paraît aberrant de critiquer la culture en général car ce serait rejeter la « nature humaine ».

      Les critiques que nous avons mentionnées plus haut ne peuvent avoir de sens que si elles se limitent à la critique de certains aspects contingents de la culture. Ainsi, on peut regretter comme Rousseau les dérives d’une civilisation devenue matérialiste et immorale. On peut rejeter des valeurs, des situations particulières, politiques, économiques ou sociales, qui aliènent ou déshumanisent l’homme. Mais la misère, l’oppression, la terreur politique ou la barbarie ne sont pas des nécessités. Critiquer la culture en général, ce serait vouloir que l’homme ne soit pas un être de culture, ne soit pas ce qu’il est. Autant reprocher à un crocodile de ne pas être végétarien… 

       Concluons donc cette partie en considérant que l’hypothèse selon laquelle l’homme est un « animal dénaturé » parce qu’il s’est détourné de l’ordre naturel

ne résiste pas à l’examen : Non seulement elle ignore la pluralité des normes de la nature et la pluralité des cultures, mais encore elle ignore qu’il est dans la « nature humaine » d’être un être de culture.

(thèse : l’interprétation qui convient)

III) L’homme est un animal dénaturé au sens où il est le seul être qui n’ait pas de nature.

        Si l’expression « animal dénaturé » a un sens c’est celui d’animal pour lequel il est erroné de perler d’une nature ou d’un essence tant la liberté que lui permet sa conscience est entière. En effet,

A)il est l’animal qui possède une conscience tellement plus développée que celles des autres, qu’il faut parler entre l’homme et l’animal d’une différence de nature et non d’une simple différence de degré.

      C’est au fond l’interprétation que l’on peut faire du récit en Genèse 3, 1-17, de la « chute » qui suit l’épisode où Adam et Eve mangent du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Contrairement à la théologie augustinienne du « péché originel », nous pouvons dire avec Erich Fromm qu’il s’agit là de la description de l’éveil de la conscience. L’homme fait une chose que ne semble faire aucun autre animal : s’interroger sur les notions de bien et de mal.  En cela, l’homme est bien « à l’image de Dieu ». En cela il rompt avec la condition animale, il est chassé de la nature, il sort de l’animalité (le Jardin d’Eden). Se faisant,  il accomplit sa destination, il entre dans l’histoire, la culture, pense et contemple la Création. Ce qui confirme cette interprétation, c’est la triple conséquence qui suit la faute : Il prend conscience de sa nudité (et la pudeur est un refus de l’animalité, marque bien sa conscience de n’être pas que cela) ; Il se met à souffrir d’avoir à peiner pour survivre (sans instinct, tout est plus difficile) ; enfin, il prend conscience de son caractère mortel et le déplore.

       Ce dernier point est aussi ce qui permet de conclure que l’homme est un « animal dénaturé » selon Vercors : car en enterrant ses morts, il atteste qu’il est capable d’un recul critique, d’un jugement sur ce phénomène naturel. Il n’est  plus « pris » dans la nature, il la surplombe et la  pense. C’est, selon Blaise Pascal, Pensées, fr.200-347, ce qui lui confère sa dignité.

NB : cet accès à la conscience concerne aussi bien l’espèce (il y a des centaines de milliers d’années), à un moment de son histoire, que chaque individu, à un moment de sa vie (vers 7-8 ans). L’espèce humaine émerge progressivement, ce que nous montre la paléontologie. La psychologie, elle, nous renseigne sur les étapes du développement de chaque être humain.

Cette dénaturation que constitue l’émergence de la conscience conduit l’homme à

B)la liberté et en ce sens à l’absence d’une nature humaine.

       Descartes, dans les Méditations métaphysiques,3, suggère que c’est notre liberté, conçue comme un libre arbitre infini, qui est « à l’image de Dieu ». Si l’homme est libre, pour paraphraser Spinoza, L’Ethique,  et contrairement à ce qu’écrit cet auteur, l’homme est bien « un empire dans un empire », c'est-à-dire une exception dans le règne de la nature entièrement déterminée. A ce titre, on pourrait dire, comme l’ont montré maints auteurs (de Rousseau à Sartre) que la nature de l’homme est de ne pas avoir de nature. « Animaux dénaturés » (Vercors), doté d’une « perfectibilité » (Rousseau),  les hommes seraient seuls dans ce cas : aucune espèce animale ne s’est suffisamment détachée de ses instincts pour édifier une véritable culture. On peut donc manier le paradoxe et dire à la fois :

-que la dénaturation, c’est la nature de l’homme : il est pure autonomie, pure création de soi par soi, capable du pire comme du meilleur : «  tu pourras dégénérer en formes inférieures qui sont animales, tu pourras, par décision de ton esprit, être régénéré en formes supérieures qui sont divines » écrit Jean Pic de la Mirandole (De la Dignité de l’homme, 1486.). Ou bien encore, selon le chœur de l’Antigone de Sophocle : « maître d’un savoir dont les ingénieuses ressources dépassent toute espérance, il peut prendre ensuite la route du mal tout comme du bien ». Le monstre est donc vraiment humain, car c’est justement le propre de l’homme d’avoir la liberté de se transformer en monstre en se livrant à la barbarie.

-que sa nature est de ne pas avoir de nature : pour Sartre, en ce qui concerne l’homme on peut dire que « l’existence précède l’essence ».

Conclusion :

      Nous n’avons pas traité ici d’un autre sens de l’expression « animal dénaturé » car il n’est encore qu’un possibilité : c’est celui auquel renverrait un être humain génétiquement modifié par les biotechnologies.  La chose paraît a priori plutôt de l’ordre d’une menace. On songe alors  à ce que décrit par exemple,  Aldous Huxley dans Le Meilleur des mondes,(1932) un homme dénaturé et programmé comme une machine. Pourtant de plus en plus nombreux sont ceux qui aujourd’hui appellent à un dépassement de l’humain, dans le but précisément d’échapper aux risques de la monstruosité humaine (celle-ci risquant d’anéantir l’espèce après Hiroshima), ce que ne permet pas l’éducation classique humaniste. Ainsi le  romancier Michel Houellebecq, Les Particules élémentaires ou le philosophe Peter Sloterdjik, Règles pour le parc humain.(1999) : « Quand les possibilités scientifiques se développent dans un domaine positif, les gens auraient tort de laisser agir à leur place, comme s’ils étaient aussi impuissants qu’avant, un pouvoir supérieur [...] On sait que les refus, les démissions sont condamnés à la stérilité : il faudrait donc à l’avenir jouer le jeu activement, et formuler un code des anthropotechnologies… Il suffit qu’il soit bien clair que les prochaines longues périodes seront pour l’humanité celles des décisions politiques concernant l’espèce. Ce qui se décidera, c’est si l’humanité ou ses principales parties seront capables d’introduire des procédures efficaces d’autoapprivoisement […], si l’anthropotechnologie du futur ira jusqu’à une planification explicite des caractères génétiques, si l’humanité dans son entier sera capable de passer du fatalisme de la naissance à la naissance choisie et à la sélection prénatale…».

pensez a le faire passer aux gensz qui n'auraient pas internet

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